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La Nuit des juges (The Star Chamber). Commentaires par Vincent Lefebve, Chargé de recherches du FNRS, chercheur au Centre de droit public et au Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles.
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La Nuit des juges, en anglais, The Star Chamber, sorti il y a un peu plus de trente ans, est un film étonnant. Il a été signé par un réalisateur, Peter Hyams, dont il est difficile de dire qu’il soit sur le point de s’immortaliser, de figurer dans la liste des cinéastes ayant marqué de leur empreinte l’histoire du septième art. On ne manquera pas de relever d’indéniables fautes de goût dans la filmographie du réalisateur, par exemple son Timecop, avec Jean-Claude Van Damme en vedette, sorti sur nos écrans en 1994, ou encore Présumé coupable, l’inutile remake qu’il a proposé, en 2009, du chef-d’œuvre de Fritz Lang (L’Invraisemblable vérité, Beyond a Reasonable Doubt, 1956). Pourtant, si l’on se tourne vers La Nuit des juges, nous aurions tort de bouder notre plaisir. Il s’agit peut-être du film le plus abouti de Hyams, qui n’impressionne pas tant par son style que par une intrigue bien ficelée, qui en fait un thriller captivant. Mon propos ci-dessous est de mettre en exergue les diverses raisons qui font que cette intrigue peut attirer l’attention et même la curiosité des juristes et, plus généralement, de ceux qui s’intéressent aux représentations du droit et de la justice au cinéma.
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La Nuit des juges n’est pas un thriller comme les autres, ni même un « film de procès » (« Courtroom Movie ») comme les autres. Deux facteurs principaux expliquent cette originalité. Le protagoniste placé au centre du récit est un juge, ce qui est en soi assez rare, et il est même un juge très actif, presqu’un « activiste » de la justice. En second lieu, la tension entre légalité et justice y est mise en scène d’une manière qui frappe particulièrement l’imaginaire.
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Rappelons les grandes lignes de cette intrigue, au centre de laquelle nous trouvons un jeune juge idéaliste faire ses premières armes (le juge Steven Hardin, joué par un Michael Douglas impeccable – le film sort en 1984, trois ans avant Liaison fatale). Ce magistrat est rapidement confronté à une dure réalité, car il se voit contraint d’annuler des poursuites pénales en raison d’un vice ayant affecté le déroulement de la procédure. C’est là un thème récurrent au cinéma, celui du formalisme de la loi qui rend impossible la manifestation de la justice, comme en témoigne, par exemple, une réalisation belge néerlandophone récente, Le Verdict (Het Vonnis, Jan Verheyen, 2013). Cependant, dans La Nuit des juges, ce thème éculé est traité d’une manière inattendue, sans que, suivant un schéma assez classique, la thématique de la vengeance ne soit introduite dans le récit filmique.
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Le juge Hardin fait part de ses doutes et de la crise de confiance qu’il traverse à Benjamin Caulfield (Hal Holbrook), magistrat à la retraite, avec qui il entretient une relation amicale. Survient alors l’élément perturbateur autour duquel va se nouer la dimension plus « subversive » de l’intrigue. Ces problèmes de conscience ne sont, semble-t-il, pas insolubles. Le juge Benjamin Caulfield explique en effet au juge Hardin, son cadet, qu’un groupe d’anciens magistrats se réunit secrètement afin de « rejuger » certains dossiers qui n’ont pu aboutir, pour des raisons certes légales, mais qui heurtent de plein fouet un idéal supérieur : que justice soit faite. La scène durant laquelle le cadet est intronisé par son aîné, mérité d’être visionnée. L’exercice d’autojustification auquel se livre le juge Caulfield doit, en particulier, retenir notre attention.