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Le Maître du jeu (Runaway Jury). Commentaires par Julie Allard, directrice du Centre de droit public de l’ULB.
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Le maître du jeu appartient à la liste des nombreux films tirés d’un roman de John Grisham (La Firme, L’affaire Pélican, Le client, etc.). Profondément ancré dans la culture des États-Unis tant par le style que par l’histoire qui y est contée, outra-geusement hollywoodien et par certains aspects caricatural, le film met en scène le monde juridique américain et l’une de ses figures essentielles : les avocats. Ceux-ci s’affrontent au profit d’un récit apparemment manichéen opposant deux visions de la justice : l’une idéaliste, selon laquelle la vérité et la loi peuvent et doivent triompher des passions humaines ; l’autre, cynique, selon laquelle la justice n’est qu’un simulacre manipulé par les puissants, au service desquels les avocats sont prêts à tout pour tordre le cou à la vérité. Ainsi, quand on demande à l’un d’eux si l’objectivité a sa place dans un tribunal, il n’hésite pas à rétorquer : « Pas si je peux l’éviter ».
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Un film sur l’institution du jury populaire
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Le maître du jeu est aussi un film de genre, un film de prétoire (lawcourt film) : l’intrigue se déroule pour l’essentiel au sein du tribunal et offre au spectateur une certaine vision du juge et, surtout, du jury populaire. La légitimité de cette institution, omniprésente dans le droit américain, est rappelée dans le film en contraste avec l’arbitraire potentiel qu’offrirait une justice entièrement professionnalisée. Ainsi, tandis qu’un juré demande à être dispensé, en raison d’un tournoi qui pourrait lui rapporter gros et auquel il veut participer, le juge lui rappelle son devoir civique en la matière, opposant ainsi la justice, qui doit être sans motif intéressé, et le fait de vouloir s’enrichir. Il insiste en particulier sur les garanties qu’apporte le jury en matière d’équité et de justice : « Le système des jurys a été créé parce que, durant des siècles, un juge individuel avait le pouvoir de pendre, pour l’exemple, tout jeune homme pour la seule raison qu’il lui déplaisait ». A l’opposé, le cynique avocat clame sans vergogne devant ses clients : « Les procès sont trop importants pour être laissés aux mains des jurys ».
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La trame de l’histoire repose sur la sélection de ce jury populaire puis sur sa manipulation. Le procès en question se déroule deux ans après qu’un courtier licencié ne soit revenu sur son lieu de travail pour abattre ses anciens collègues, avant de retourner l’arme contre lui. La veuve de l’une des victimes, Celeste Wood, poursuit alors au civil un grand fabricant d’armes, qu’elle juge complice du crime. Sans responsabilité directe avérée, son avocat tente de démontrer que les sociétés d’armement américaines se cachent derrière le 2e amendement de la Constitution – qui garantit le droit de porter une arme dans une perspective d’auto-défense – pour faire commercialiser des armes de guerre et s’enrichir grâce à la violence.
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Celeste Wood est défendue par un avocat local, pro bono et militant, qui s’est saisi de la cause : Wendell Rohr (Dustin Hoffman). Le fabricant d’armes, quant à lui, déploie une énorme équipe d’avocats, assistée par Rankin Fitch (Gene Hackman), cynique spécialiste de la sélection des jurés, dont on ne sait pas vraiment s’il est seulement un consultant ou l’avocat attitré du lobby de l’armement.
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C’est au jury populaire qu’il reviendra de trancher l’affaire et celui-ci est présenté dans le film comme un ensemble de gens ordinaires, influencés par leur propre histoire, leurs préjugés, leurs doutes, mais aussi manipulables dès lors qu’on a cerné leur personnalité. Si ce point est clairement énoncé par le film, l’accusation idéaliste refuse dans un premier temps de l’admettre. Même si l’avocat Rohr évoque un costume simple et une tâche de sauce sciemment faite sur sa cravate pour plaire aux gens du peuple, et même s’il accepte finalement de s’adjoindre un consultant (débutant) en matière de sélection des jurés, il veut croire que l’issue du procès dépend surtout de la cause juste. A l’inverse, la défense, mobilisant un grand nombre de moyens techniques, pour la plupart illégaux, enquête sur les jurés potentiels, les observe tant dans le prétoire qu’en dehors, dresse leur profil psychologique et, en suivant le flair de Fitch, espère pouvoir prédire leurs décisions et donc orienter l’issue du procès. Pour « gérer » son jury, Fitch construit un véritable bunker digne d’une agence d’espionnage et télécommande, par oreillette interposée, l’avocat-marionnette qui plaide dans la salle d’audience.